Chronique à propos de "Dayly, Texas" signée par Lidwine Prolonge

Publié le par Catherine Redelsperger

Météorites et cailloux, accrocs et crochets, icebergs et rivages,

animaux libérés et esprits aiguisés

ou

Banquet sur une plage

Lidwine Prolonge

Chronique à propos de Daily, Texas, de Catherine Redelsperger

 

L’écriture de Catherine Redelsperger procède d’une manière qui est parfois sans-façon, mais non sans-gêne, bien au contraire ; car elle engendre souvent une gêne, relativement sourde, non palpable. Cela ressemble à l’effet d’un habit familier qui serait devenu soudain légèrement trop petit, et qui gêne aux emmanchures. On ne saurait dire du reste si c’est nous qui avons grandi durant la nuit – improbable, excepté si l’on est un enfant, ce qui peut arriver – ou bien si c’est l’habit, pourtant si connu, si intime, qui a changé. En général, c’est simplement que l’on avait pas tout à fait bien regardé au début, et qu’il faut à présent plisser les yeux pour mieux voir ce qui se dérobait jusqu’ici.

L’écriture de Redelsperger fait apparaître une fissure, et par là, nous entendons également le fait particulier qu’elle n’impose pas une faille abyssale. Cela pourrait s’apparenter à certains mécanismes de la littérature dite fantastique, de Maupassant à Poe, où l’étrange l’est d’autant plus qu’il suinte dans un univers où tout a été installé par l’écrivain pour nous faire sentir la tranquillité des lieux et donc mieux nous saisir par la brusque apparition d’un seul élément qui apparaît par contraste comme non ordinaire, extraordinaire – matière dont on fait les histoires. Mais si elle se rapproche de cette littérature par cet effet, elle en est également éloignée par le fait que l’élément étrange ne l’est pas pour elle.

L’étrange est chez elle un animal familier, qu’elle s’efforce d’abord de nous faire voir puis de nous faire apprivoiser.

Quant aux façons que nous évoquions au commencement, elles sont tout à fait singulières. D’une part, il y a la forme mouvante du roman, des tournures, des effets de fiction qui sont tout à fait reconnaissables, dans le sens où ils ne mettent en danger ni le lecteur ni la littérature elle-même. Qui lui font honneur, qui mènent le lecteur, le font haleter, et prendre un chemin déjà parcouru – et pourtant toujours agréable. C’est le même sentiment qui nous fait revenir sans cesse aux romans policiers, dont elle emprunte, à l’instar de la littérature fantastique, quelques traits.

En bordure pourtant, il y a des pierres étranges. Certains feront remarquer que ces cailloux brisent l’harmonie qui commençait à se faire voir, que ce sont des accrocs dans la maille lisse de la fiction qui se déployait pourtant si bien, et quelque lecteur ira jusqu’à parler de maladresses. Mais ces pierres sur lesquelles nous buttons ne sont pas arrivées ici par hasard. C’est l’écrivain qui les a posées, doucement mais sciemment. En réalité, si l’on creuse un peu l’affaire, il se pourrait bien que ces pierres soient le centre de gravité du roman ; que l’intrigue, l’ossature, le chemin, ne soient présents que pour rassurer le lecteur, qui, s’il voit un amas de pierre au lieu du chemin d’herbe grasse auquel il est habitué, s’enfuit à toutes jambes – parfois avec raison.

L’écrivain a donc dû faire ployer son étrangeté sous le quotidien de la littérature, la faire tremper dans un bain romanesque connu et reconnu, et se faire elle-même couleuvre. Car cela lui permet d’être lue, tout simplement. La délicate vigilance dont elle a dû faire preuve a tenu à ne pas faire disparaître toutes les pierres, à trouver un équilibre fragile, instable, qui oscille entre l’herbe et la pierre, entre confort et inconfort, entre foulées et foulures. Les pierres sont des paillettes d’un autre monde, des morceaux d’iceberg, des bribes curieusement ramenées dans le réel par la fiction, des butées de porte contre lesquelles notre esprit vient cogner, et du ressac.

Sans cesse ramené sur ce rivage, l’esprit égaré trouve de nouveaux repères, sans réussir à les visualiser tout à fait. Il fait encore nuit. On ne distingue rien que le bruit de l’eau proche, des bruissements, des frémissements.

Des pans entiers de l’histoire se déplacent par blocs. Tout se meut lentement, mais sûrement. Il y a là une tranquillité d’esprit qui nous entraîne avec elle sur des sentiers pentus, avec la certitude que même si la pente s’inversait, on ne tomberait pas. Car le guide en est lui-même certain. Lui faire confiance n’est pas forcément logique mais c’est une certitude intérieure, impérieuse. On se laisse glisser, bercer vers la nuit d’encre, on laisse se satisfaire d’autres sens.

L’intrigue se noue, puis se dénoue. Comme dans tout roman. Des points d’orgue, des poursuites haletantes, des pièces de puzzle, tout s’organise en une structure que nous connaissons pour l’avoir recherchée, et trouvée parfois. Mais lorsque soudain la résolution a lieu, ce n’est pas, comme dans les romans policiers, l’histoire qui se résout ; ce n’est pas non plus le piège implacable de certaines littératures, qui fait reconnaître le génie de l’auteur. Ce n’est pas quelque chose d’extérieur qui se produit et qui suscite notre admiration, ou qui apaise notre faim et nous laisse repus de cette énigme dévoilée. Quelque chose manque. La résolution n’est pas totale, et nous ne parvenons pas à reconstituer le chaînon manquant. Des blocs restent en suspens. Des icebergs poursuivent leur dérive.

C’est que le lecteur a lui-même été déplacé. Ce qui manque, c’est lui-même. La place vide, c’est celle qu’il occupait, dans l’espace et la construction de l’affaire. Et ce qui n’est pas résolu est dû à la retenue de l’écrivain, qui se garde bien de dicter les dernières lignes, intimes, du lecteur. Par souci, par délicatesse envers son hôte, la résolution n’est pas totale, échappant ainsi au totalitarisme. L’écrivain est un guide et ne siège pas dans un mirador, même si elle jouit d’une vue quasi panoptique. On ne déplace pas ses hôtes pour les résoudre. Ce serait faire vœu de pauvreté. Ce serait éventrer la poule. Les œufs d’or courent au dehors, en dedans, elle nous laisse sur notre faim, sensation forte, bien plus forte que le désir apaisé. Nous sommes au bord du banquet, l’écriture agissante de Catherine Redelsperger nous a amené sur un autre rivage, devenu entre t
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